Cette série regroupe à ce jour, treize pastels exécutés vraisemblablement en 1868. Il s’agit des pastels auxquels viennent s’ajouter trois pastels redécouverts récemment, Soleil levant , Paysage, ciel lumineux et Étude de nuage (cmt7xo). Parmi cet ensemble, deux feuillets intitulés Après la pluie et Le Soir (CM0NA1), portent en bas à gauche une inscription de date 18681. Tous ont la particularité d’être composés selon un schéma presque identique : à savoir une ligne d’horizon relativement basse qui offre à l’artiste une vaste surface pour explorer subtilement les variations atmosphériques. Ce sont des études de ciels réalisées à différents moments de la journée et sous des conditions météorologiques changeantes. Il existe quelques variantes parmi ces compositions : les deux pastels datés, Après la pluie (Fig. 3) et Le Soir (CM0NA1), auxquels se rattache le Ciel orageux (CM2EVL), s’organisent autour d’une clôture en bois qui forme une longue diagonale. On la retrouve également dans La Fermière et les vaches normandes (CM2E91) et Les Trois Vaches à la pâture . Le Plateau de Caux, soleil et nuages , Paysage, ciel lumineux (Fig. 2) et Étude de nuage (CMT7XO) n’ont pas de bosquet qui cale la composition sur la droite.
Ces dessins nous éclairent sur le mode opératoire de Monet et, si l’on peut supposer que certains feuillets manquent encore aujourd’hui, ils permettent de comprendre la manière dont l’artiste conçoit une série sur un même motif. Monet reprend la même composition, une prairie qui occupe un espace étroit au premier plan, ménageant ainsi un espace ample pour l’étendue céleste. La silhouette sombre d’un arbuste définit une zone de liaison entre la terre et le ciel. Plus ou moins proche, il apparaît tantôt massif (CM2EVL, Fig. 1 et ), tantôt diminué de moitié, s’estompant dans l’atmosphère dans certains pastels ( , et ). À la manière d’une focale photographique, Monet évacue tout détail pour ne fixer que les masses structurelles que la nature nous offre.
L’extrême similitude de composition et de motif entre le champ au premier plan, le ciel et le bosquet sur la droite, indique que Monet fait de ces pastels une véritable série avant l’heure. Mais ce n’est pas le motif réduit à sa plus simple expression qui l’intéresse ; Monet ne retient donc que les éléments fondamentaux du paysage, rendant accessoire toute localisation précise de la série. Ce sont les variations lumineuses du ciel et le trait de lumière qui se pose, éphémère, sur la frange d’un nuage, qui captent toute son attention. Il joue des contrastes qui viennent progressivement gommer les moindres rugosités terrestres jusqu’à l’abstraction. Monet se place au cœur de son motif et parvient, par le dessin et la couleur, à atteindre l’essence même de la création. On est saisi par la liberté musicale du geste créateur ; ces pastels sont des études pures d’un moment du jour, des portraits énergiques et vivants de ciels sur la plaine.
En cette année 1868, Monet s’attelle en peinture à de grands formats destinés aux salons, exécutant Le Déjeuner (W132) et le portrait de Mme Gaudibert (W121), la femme de son mécène havrais. Ses paysages normands, Le Port de Honfleur (W77), La Jetée du Havre (W109) et Cabane à Sainte-Adresse (W94) sont salués par les critiques lors de l’Exposition maritime internationale du Havre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Monet dessine au même moment ces petites études de ciels normands, constituant ainsi sa première série sur le motif. L’artiste a-t-il eu l’occasion d’admirer les études de ciels de Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) ( et ), qui exhortait déjà les peintres à sortir peindre sur le motif ? De toute évidence, l’œuvre graphique d’Eugène Delacroix (1798-1863) et particulièrement ses études de ciels au pastel, ont ouvert la voie du travail de la couleur pure en plein air . Monet appréciait l’œuvre de Delacroix dont il acquit trois dessins, dont deux paysages à l’aquarelle, Falaises près de Dieppe et Falaises d’Étretat. Le Pied du cheval (Paris, musée Marmottan Monet, inv. 5052 et inv. 5053). Par ailleurs, on peut noter à la vente après décès de Delacroix, la présence d’une série de dix-sept pastels (nos 608 à 613) aux titres évocateurs, notés par l’artiste, Ciels clairs et dorés, ou encore Ciel orageux, nuage courant 2. L’artiste qui a ouvert la voie au jeune paysagiste est son maître Eugène Boudin (1824-1898)3. Ainsi que le souligne Charles F. Stuckey4, un événement, peu documenté, a eu très certainement un impact considérable sur le rapport de Monet à la série : il s’agit de la vente aux enchères organisée à l’hôtel Drouot par Boudin, le 25 mars 1868. Celle-ci compte une centaine de ses œuvres, pastels et aquarelles de plages et de ciels comme ceux qui avaient tant enchanté Charles Baudelaire en 1859. À en juger par la date de 1868 inscrite sur certains pastels de Monet, la vente de Boudin pourrait avoir incité le jeune artiste à réaliser des dessins comparables et potentiellement commercialisables .
Lors de la première exposition impressionniste, ouverte le 15 avril 1874, Monet présente douze œuvres, dont sept pastels, classés sous l’appellation de « Croquis » (nos 99 à 102). L’absence de titre ne permet pas d’identifier les sujets de ces croquis, regroupés par deux dans un même cadre, mais ce sont probablement des études de ciels, couchers ou levers de soleil qui représentent à cette date la très grande partie de la production graphique de l’artiste. L’exposition de ces pastels de ciels est plus qu’un hommage de Monet à Eugène Boudin, qui présente quatre études de ciel au même moment5. Les deux artistes affichent publiquement leur complicité créatrice et leur estime mutuelle.
Si deux feuillets sont bien datés 1868 de la main de l’artiste, gardons à l’esprit que Monet interroge lui-même la date de création de certain de ses pastels. Monet suggère lui-même que Paysage, environs du Havre (CMA9UT) est plutôt de 1868. Claude Monet à Paul Desachy (sous-lieutenant à l’état-major de la 15e région, Marseille), 26 août 1916 : « J’ai été ravi de savoir que vous aviez gagné ce bien modeste pastel, qui ne peut être daté de 78, mais bien de 68, et qui a dû être fait en Normandie aux environs du Havre », dans Daniel Wildenstein, Claude Monet. Biographie et catalogue raisonné, t. IV, Lausanne, La Bibliothèque des arts, 1985, p. 394, lettre 2191. ↩︎
Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du décès d’Eugène Delacroix, Paris, hôtel Drouot, 17,18 et 19 février 1864, experts Francis Petit et Tedesco, commissaires-priseurs Charles Pillet et Charles Lainné, p. 71. ↩︎
Ségolène Le Men et Géraldine Lefebvre, « Claude Monet. Vue prise à Rouelles, 1858 », dans Monet au Havre. Les années décisives, Paris, Hazan, 2016, p. 25-35. ↩︎
Charles F. Stuckey, « The Predications and Implications of Monet’s Series » dans cat. exp. The Repeating Image (Baltimore, Walters Art Museum), sous la dir. de Eik Kahng, Baltimore, Walters Art Museum, 2007. ↩︎
Le catalogue mentionne au numéro 20, quatre cadres présentant des études de ciel au pastel et au numéro 21, deux cadres avec des études diverses. ↩︎
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