Monet aimait se promener sur les sentiers du cap de la Hève à Sainte-Adresse, situé à l’extrémité sud de la côte d’Albâtre. Il en a exploré chaque recoin, portant un intérêt quasi-géologique au site. Les hautes falaises qui surplombent d’environ 100 mètres le niveau de la mer sont constituées de multiples couches sédimentaires de densité variable : des grès sombres et solides se mélangent à un tuffeau très poreux et à une craie blanche et sablonneuse. Le premier dessin du deuxième carnet, exécuté le 13 août 1856, est une étude détaillée pour Les Éboulis de la falaise (D29) au nord du cap de la Hève. Postérieur de quelques jours, un autre dessin daté du 3 septembre 1856 est une étude détaillée pour Les Basses Falaises (D40) qui se situent en contrebas des hautes falaises, dont Monet s’attache à rendre les différentes strates de la roche.
Dans ce pastel Sainte-Adresse, la cabane d’Alphonse Karr, Monet se place en contrebas du terrain, ce qui lui permet de concentrer son attention sur les caractéristiques tectoniques de celui-ci. Par une déclinaison subtile de bruns et de verts, ponctuée de taches blanches lumineuses, Monet structure son espace et traduit en couleurs et entrelacs les caractéristiques sédimentaires des falaises de la Hève. La petite cabane en bois et une barque de pêcheur laissent présager que nous nous trouvons à proximité du rivage.
Ce pastel pourrait être une première étude pour la peinture La Pointe de la Hève (W39), exécutée durant l’été 1864 en compagnie de Johan Barthold Jongkind (1819-1891). La composition a inspiré une version plus grande et étroitement liée, La Pointe de la Hève à marée basse , que Monet présente au Salon de 1865. Sur ces deux peintures, on distingue une même petite cabane précairement installée à flanc de colline entre un éboulement et un mouvement de terrain verdoyant. Par ailleurs, la comparaison avec un dessin d’Édouard Riou (1833-1900), représentant la cabane du journaliste Alphonse Karr (1808-1890) datant de la même période et une aquarelle du 7 septembre 1857, permet d’affiner la localisation . Sur ces deux feuilles, on retrouve des barques, des cabanes et peut-être même une excavation au-dessus des abris. Il pourrait s’agir de la cabane au bord de l’eau d’Alphonse Karr. Largement diffusé par les gravures de l’époque, ce lieu est devenu dès lors un véritable lieu de pèlerinage . Rédacteur en chef au Figaro en 1836, directeur du mensuel Les Guêpes à partir de 1839, Karr s’installe à Sainte-Adresse en 1841. Romancier célèbre, il façonne par ses écrits la renommée de la cité dionysienne.
Ce pastel a fait partie de la prestigieuse collection du russe Ivan Chtchoukine (1817-1908), qui, de toute évidence, s’est passionné pour l’œuvre de Monet. Le 24 mars 1900, le collectionneur se sépare d’une grande partie de sa collection d’impressionnistes, afin d’acquérir des œuvres de peintres classiques espagnols. Le catalogue de la vente aux enchères comprend quarante-deux numéros, peintures et dessins à proportions égales. Parmi cet ensemble, des peintures de Cézanne, Degas, Sisley, Renoir et Van Gogh et des dessins de Boudin, Degas, Forain, Rops, Whistler ainsi que deux pastels de Monet : celui-ci, intitulé alors Les Falaises (CM27Z4), et Étretat, le cap d’Antifer (cmzse6), vendus respectivement 320 et 165 francs.
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