Dans ce pastel L’Estuaire de la Seine, Harfleur, Monet se trouve près du village d’Harfleur situé à 6 km à l’est du Havre. Du IXe au XVIe siècle, Harfleur et Honfleur, qui se font face de part et d’autre de la Seine, sont les deux principaux ports de l’estuaire, préexistant à la construction du Havre. Deux dessins du premier carnet, datés du 22 juillet 1856 ont étés exécutés par Monet à Harfleur. L’un représente un alignement de maison à colombages (D12), l’autre des maisons et un pont enjambant la Lézarde, rivière qui coule à Harfleur (D13). Monet exécute un autre dessin, plus tardif, de l’église Saint-Martin d’Harfleur . Dans le pastel, Monet s’éloigne de la ville et choisit un vaste panorama de la baie de Seine. Les prairies et coteaux verdoyants du premier plan mènent à Harfleur, reconnaissable par ses entrepôts portuaires, ses usines et le clocher de son église. Dans le lointain, les eaux de la baie de Seine brillent d’un éclat argenté sous un ciel d’orage lumineux. Monet saisit l’intensité des couleurs du paysage, comme émulsionnées et saturées par l’eau de pluie. Loin des petits dessins de sa jeunesse, à la fois pittoresques, topographiques et précis, Monet propose, vingt ans plus tard, un pastel entièrement construit par la couleur.
En 1850, Johan Barthold Jongkind (1819-1891) se rend en Normandie en compagnie du peintre français Eugène Isabey (1803-1886). Les deux amis s’arrêtent à Honfleur, Fécamp, Yport, Saint-Valéry-en-Caux et Harfleur. De retour à Paris, Jongkind envoie au Salon une vue du port de Harfleur, acquise par l’État . Entre 1850 et 1852, Jongkind propose plusieurs peintures représentant Harfleur à travers son activité portuaire. Une gravure d’après Charles-François Daubigny reproduite dans les Guides Itinéraires de Paris au Havre de 1855 montre un point de vue tout à fait différent de celui de Jongkind et très similaire au pastel de Monet . Daubigny s’intéresse toutefois davantage à la géographie détaillée des lieux qui l’entourent, alors que Monet choisit de se concentrer sur la lumière et les couleurs. Il accentue les contrastes lumineux en ceinturant d’un trait foncé les champs et les haies du premier plan qui s’opposent aux lignes blanches et ondoyantes des nuages. Sur la droite, la voie de chemin de fer très clairement dessinée chez Daubigny est tracée succinctement dans le pastel de Monet. La palette de couleurs – les verts et les jaunes – est très vive et le trait est rapide. Les couleurs intenses, les effets lumineux et le graphisme énergique tendent à rapprocher ce pastel de la manière de Jongkind, plutôt que de Daubigny.
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