La grande majorité des pastels de Monet décrivent la région du Havre, en Normandie, où il a grandi. Ces deux études de ciel font partie d’un groupe de dix pastels que Daniel Wildenstein date de 1868, car deux études très similaires, Après la pluie et Le Soir , sont signées et datées de 1868 par Monet1. Daniel Wildenstein suggère que ces pastels ont pu être exécutés près de Montivilliers, dans les environs du Havre, alors que Monet peignait le portrait de Mme Gaudibert (W121). Comme les autres pastels, ces deux études de ciel montrent une mince étendue de terre avec un bosquet à droite, surplombé par un ciel tourmenté et nuageux de fin de journée. Ces croquis semblent bien constituer une série, certainement réalisés au cours de plusieurs séances de travail.
Dans la première Étude de ciel , la lumière est encore haute et douce et le bouquet d’arbres est subtilement éclairé, captant les derniers rayons du soleil. Les nuages ombragés de gris projettent leur ombre sur le sol. La masse des nuages est sculpturale, tandis que leurs franges se disloquent, laissant filtrer l’éclat lumineux du soleil couchant. Monet réussit à créer un paysage d’une grande profondeur. La seconde étude (CMKTVD) montre la lumière orange d’un soleil presque couché alors que des nuages teintés de nuances violettes se dispersent pour laisser place à une éclaircie. Le calme de la nuit approche tandis que les dernières lueurs du jour flamboient. L’économie de moyen et l’intensité des couleurs sont ici comparables au pastel Coucher de soleil , offert par Monet à Jean Dauberville en mars 1918.
Sur le verso de la présente étude se trouve un dessin, Le Havre, la jetée , qui rattache ces pastels aux lieux normands de la jeunesse de Monet. Caché sous la monture, il a été redécouvert récemment. Monet construit son dessin autour de l’horizontale de la jetée, placée en pleine lumière et séparant le ciel et la mer. Les silhouettes des promeneurs animent le paysage. Les tons dominants de bleu, jaune et noir sont contrebalancés par une petite figure vêtue de rouge parmi la foule. Les nuages sont suggérés par des lignes sinueuses de blanc et de gris-bleu, les vagues par des traits ondulants de bleu, de vert et de crème. Ce motif de la jetée est fréquent dans ses peintures, notamment dans L’Entrée du port de Honfleur, 1867 , ou encore La Jetée du Havre, 1868 , rejeté par le Salon cette même année. Les pastels et les huiles, qui se nourrissent l’un l’autre, reflètent l’engagement de Monet dans le travail sur le motif. L’influence d’Eugène Boudin (1824-1898) est d’ailleurs déterminante dans cette approche du paysage 2.
Ces études (CMV95S et CMKTVD) ont été offertes par Monet, en 1924, comme cadeau de mariage à Anne-Marie Durand-Ruel (1901-1990), la petite-fille de son marchand Paul Durand-Ruel. Plus que tout autre, ce dernier a été son premier soutien et le principal acteur du succès critique et commercial du mouvement impressionniste. Monet a souvent offert ses pastels à sa famille, ses amis, ses collectionneurs et ses marchands. Ces deux études sont restées dans la famille Durand-Ruel jusqu’en 2014. Ainsi que le souligne Richard Kendall dans le catalogue The Unknown Monet3, elles ne sont pas préparatoires à des compositions à l’huile, mais sont plutôt des exercices visant à capturer les effets fugaces de la nature dans un médium qui se travaille plus rapidement que la peinture à l’huile. On pourrait ajouter que le pastel autorise certaines audaces colorées en accord avec le spectacle que lui offre la nature. Monet peut ainsi estomper le pourtour d’un nuage en mouvement ou encore renforcer en quelques traits de couleurs, les rayons de lumière qui illuminent soudainement un arbre ou un champ.
Voir « Études de ciels sur la plaine – une première série en 1868 » dans le présent ouvrage. ↩︎
Monet s’intéresse au travail de Boudin sur le motif, notamment ses pastels dont il acquit plus tard un exemplaire, Sur la plage, 1863 (Paris, musée Marmottan Monet). ↩︎
Richard Kendall, « Monet’s Pastels in Private », dans The Unknown Monet: Pastels and Drawings, cat. exp. (Londres, Royal Academy of Arts; Williamstown, Sterling and Francine Clark), sous la dir. de James A. Ganz et Richard Kendall, Williamstown et New Haven, Sterling and Francine Clark Art Institute et Yale University Press, 2007, p. 119-161. ↩︎
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