Entre 1883 et 1891, Monet représente certains des membres de sa famille, en particulier la préférée de ses belles-filles, Suzanne Hoschedé (1868-1899). Elle est, après la naissance de Marthe (1864-1925) et de Blanche (1865-1947), la troisième fille d’Alice (1844-1911) et d’Ernest Hoschedé (1837-1891). Elle devient un des modèles favoris de l’artiste et figure sur plusieurs de ses tableaux, parmi lesquels les deux versions de la Femme à l’ombrelle de 1886 (W1076 et W1077). Le 20 juillet 1892, elle se marie à Giverny avec le peintre impressionniste américain Theodore Earl Butler (1861-1936). Très malade, Suzanne, tout juste trentenaire, décède en 1899.
Dans ce grand pastel sur toile, Suzanne se tient en buste de trois-quarts, portant sur ses genoux son petit chien noir. Elle porte une veste sombre qui s’accorde au brun de sa chevelure et une courte écharpe blanche qui vient souligner la pâleur de son visage. Malgré son chapeau à plumes qui lui donne des airs de jeune fille du monde, son visage aux contours arrondis et bordé d’une frange rigide, est encore enfantin. Ici, elle paraît un peu plus âgée que dans Les Quatre Enfants Hoschedé : Jacques, Suzanne, Blanche et Germaine (cmabsp), où elle se tient aux côtés de ses frères et sœurs, ce qui permet de penser que ce feuillet est légèrement postérieur et pourrait se situer vers 1882-1883.
Les portraits des enfants Hoschedé sont des cadeaux de Monet à sa femme Alice ou aux enfants eux-mêmes1. Monet exécute également un très beau dessin à la sanguine de Suzanne, Tête de femme , et un grand Portrait de Suzanne aux soleils , qui montre la jeune femme assise, accoudée à une table sur laquelle est posé un bouquet de tournesols. Octave Mirbeau (1848-1917), ami de la maison, évoque ce portrait monumental et très vite, son analyse dépasse l’aspect physique pour évoquer le caractère du modèle : « Elle est d’une beauté délicate et triste, triste infiniment […] énigmatique…, étrange comme l’ombre qui l’enveloppe. » Ces lignes poétiques de Mirbeau pourraient aussi bien s’appliquer à notre pastel 2. Dans son journal, Alice Hoschedé continue d’entretenir un dialogue avec Suzanne prématurément disparue. Redécouvrant probablement les dessins ou pastels de Monet, elle confie à sa fille au-delà de la mort : « Quelle émotion en revoyant cette image de ton enfance. Te souviens-tu des histoires que j’inventais pour que tu poses 3? »
Claude Monet à Paul Durand-Ruel, 26 septembre 1900, dans Daniel Wildenstein, Claude Monet. Biographie et catalogue raisonné, t. IV, Lausanne, La Bibliothèque des arts, 1985, p. 349, lettre 1569. ↩︎
Le romancier se laisse gagner par cette impression saisissante : « Assise dans la position de la Mélancolie de Dürer », Suzanne est, selon l’écrivain, semblable « à quelque Ligéia, fantômale et réelle, ou bien à quelqu’une de ces figures de femme, spectres d’âme comme en évoquent tels poèmes de Stéphane Mallarmé. », dans Octave Mirbeau, « Monet au jardin des supplices », L’Art dans les deux mondes, 1891, p. 8.
https://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Limousin-JDSmonet.pdf ↩︎
Journal inédit d’Alice Hoschedé-Monet, extrait communiqué par M. J.-M. Toulgouat. ↩︎
Contenu