Ce pastel, Croquis d’enfants, et un autre du même nom , étaient réunis dans un même cadre jusqu’en 1927, présentation qui se justifiait alors par la similitude du sujet traité. Monet a divisé ces deux feuillets en deux registres horizontaux, sur lesquels il a travaillé plusieurs études d’enfants – majoritairement des garçons, puisque l’on y voit une seule fillette isolée. Sur la première feuille, un jeune garçon aux cheveux blonds ébouriffés, vêtu d’un pantalon bleu retenu par une simple bretelle, est croqué quatre fois selon des positions différentes. Il se tient tantôt campé sur ses deux jambes, de dos ou de trois quarts, tantôt accroupi sur l’herbe ou assoupi dans une botte de paille. Les quelques détails contextuels – foin et verdure – permettent de relier ces enfants au monde rural. Sur la deuxième feuille, deux groupes se distinguent, d’un côté, trois enfants se tiennent debout de manière frontale tandis que deux autres sont allongés, accoudés et la tête relevée.
Si les croquis d’enfants sont rares chez Monet, les quelques exemples que nous conservons représentent ses propres enfants, Jean et Michel, ou les enfants de la famille Hoschedé. Les modèles de ces deux pastels ne sont pas identifiés et s’apparentent davantage aux dessins à figures du carnet de 1857. Les deux figures qui se tiennent debout, à droite de ce pastel ont la même attitude que Le Garçon à la campagne . Le garçon à la blouse rouge rappelle par sa pose et son vêtement Garçon couché à plat ventre (D71). Dans l’autre pastel (CML9ZA), le garçonnet est proche par sa tenue du Gamin des rues (D69) et – fait notable car assez rare chez Monet, qui traite ses pastels comme des œuvres affranchies de tout référent pictural – le garçon placé en bas au centre du dessin a servi de modèle pour le tableau Cour de ferme en Normandie de 1863 ( et ).
Le premier propriétaire de ces deux feuillets est le musicien Emmanuel Chabrier (1841-1894). Il fait la connaissance de Monet par l’entremise d’Édouard Manet (1832-1883) et les deux hommes deviennent rapidement des amis. En 1878, Monet choisit Chabrier comme témoin de la naissance de son second fils, Michel. La même année, le peintre consigne dans son carnet de compte la vente de trois toiles à Chabrier pour 300 francs (W144, W400 et W405). Monet aime recevoir le musicien à Giverny et l’y invite régulièrement : « Je vous rappelle donc votre promesse de venir passer quelques heures à Giverny. Vous savez que vous me ferez le plus grand plaisir » 1. Témoignage de l’amitié qui liait les deux hommes, un pastel intitulé Honfleur, voiliers et vapeurs est d’ailleurs offert et dédicacé par Monet à Chabrier. Le 26 mars 1896, deux ans après la mort du musicien, Paul Durand-Ruel (1831-1922) organise la dispersion de sa collection en salle des ventes. Le catalogue mentionne de nombreuses peintures dont Un bar aux Folies-Bergère de Manet, ou encore La Fête nationale de Monet mais aussi un lot de dessins impressionnistes. Les deux Croquis d’enfants encadrés ensemble et un Coucher de soleil qui demeure non identifié, sont adjugés respectivement pour la somme de 200 et 95 francs. La préface du catalogue de vente s’adresse en ces termes aux collectionneurs : « Ce ne sont pas que des tableaux que vous allez acheter, amateurs pieux et sagaces. C’est un peu de l’âme même du grand musicien. ».
Claude Monet à Emmanuel Chabrier, cité dans Emmanuel Chabrier, Correspondances, Paris, Klincksieck, 1994, p. 508. ↩︎
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